C’était en septembre 2011, un an avant que je commence ma formation comme guide de rafting.
Nous étions 4 : Deux de mes meilleurs amis (William et Andy), mon père (Francis) et moi (Alex).
Andy et moi avions commencé le kayak de rivière durant l’été. Nous nous étions acheté de l’équipement usagé sur Lespac et nous étions allés aux rapide des Hêtres (rapide-école locale) à quelques reprises. Andy avait la chance d’avoir suivi un cours d’initiation avec un instructeur reconnu avec qui il était allé descendre la section Pont-Rouge-Donnacona, à bas niveau. Mon père avait fait des expéditions de canot dans sa jeunesse. William, c’était mon ami casse-cou qui était partant pour tout.
Par un beau lundi du mois de septembre, les astres s’étaient alignés (ou désalignés…) et nous avions jugé que ce serait un méchant bon trip d’aller descendre la section Pont-Rouge les 4 ensemble. J’avais un vieux Wave Sport XXX, Andy venait de s’acheter un beau Wave Sport Diesel flambant neuf, Will s’était loué un kayak et, pour mon père, nous avions trouvé un kayak défoncé dans la cour arrière d’un ami (les pointes étaient cassées alors je les avais refaites en pâte à modeler que j’avais ensuite recouvertes de fibre de verre…). Pour compléter le set-up de rêve, une belle jupette en nylon qui m’avait été donnée par un aventurier que j’admirais (Fred Dion).
Cela faisait une semaine qu’il pleuvait. Le débit avait beaucoup monté dans les derniers jours (350m3). À ce niveau, certains rapides deviennent difficiles pour des débutants (R3+). Mais Andy avait fait la section quelques semaines avant (encadré par un instructeur d’expérience), nous allions être corrects. De toute façon, aucun de nous ne connaissait rien à propos des niveaux, personne n’était allé voir le débit avant la descente…à quoi bon.
Premier rapide : La râpe à fromage. Les 4, on chavire et on nage. Je regagne la rive rapidement avec mon kayak, mais j’aperçois mon père qui travaille fort (son bateau pèse une tonne et flotte à peine) alors je retourne à l’eau, à la nage, pour l’aider à ramener son kayak pendant que lui nage au bord. Lorsque je réussis finalement à ramener son kayak au bord, mes 2 amis et moi nous retrouvons, mais sommes séparés de mon père (et de mon kayak) par une falaise.
Andy et moi, on entreprend alors d’aller retrouver mon père, mais sans savoir qu’il a décidé de retourner au stationnement (avec mon kayak). Il pensait que nous allions retourner au stationnement nous aussi. Bref, en arrivant sur place, il n’y est plus. Se doutant de sa stratégie, on retourne nous aussi au stationnement pour le retrouver, mais sans succès (il a pris un détour par l’un des nombreux sentiers). On décide de retourner à la rivière pour retrouver William et reprendre la descente, on le retrouvera plus tard (on sait qu’il n’est pas dans l’eau).
Comme nos kayaks nous attendent plus bas, on se dit qu’il sera plus rapide d’y retourner à la nage. Premier rapide (pour une deuxième fois) : La râpe à fromage. Le rapide porte bien son nom. Les deux, on se fait vraiment mal. Je déchire mon wetsuit et je me cogne solidement. On arrive quand même à retrouver William. À ce point, je n’ai plus mon kayak ni ma pagaie (mon père). Je me retrouve donc avec le vieux kayak pas de siège, pas de ballon et pas de pagaie.
À ce moment décisif, on croise trois kayakistes qui nous déconseillent de continuer, car le pire est encore à venir. Ironiquement, l’un des kayakistes, Scro, sera mon Instructeur de rafting l’année suivante. Ce n’est que plusieurs années plus tard que nous avons fait le rapprochement.
Peu importe…on n’est pas des peureux. On élabore un radeau avec moi au centre qui s’accroche aux deux autres (je n’ai pas de pagaie). Ont réussi, je ne sais comment, à se rendre jusqu’à mi-parcours (l’île aux raisins). En arrivant à ce rapide, à la nage (j’ai chaviré), mon kayak disparait simplement sous l’eau. Je me suis battu, mais je dois abandonner, il pèse 2 tonnes et ne flotte pas. Donc là, nous sommes les trois à l’île aux raisins, avant le passage le plus difficile de la section, avec deux kayaks et 3 kayakistes qui ne savent pas esquimauter (la technique de se remettre à l’endroit en cas de chavirement sans sortir du kayak), à 350m3 (niveau difficile pour des débutants).
Peu importe…on s’en va par en bas! Les gars s’engagent dans le rapide et moi je les suis…à la nage. Évidemment, les deux chavirent et nagent eux aussi. Andy et moi nous retrouvons à la fin du rapide, sur la rive. Plus de peur que de mal, son kayak est resté coincé dans les marmites et il est hors de vue (on ne le reverra jamais). William, lui, est devant nous et aussi hors de vue. Andy et moi reprenons nos esprits quelques minutes et retournons à l’eau pour continuer la descente, à la nage.
Ce n’est que plusieurs kilomètres plus bas que l’on retrouve enfin William, sur une île, avec son kayak !! Il s’était battu pour ne pas le perdre, à la nage, sur plusieurs kilomètres. Cette île est à la hauteur des premières maisons que l’on peut apercevoir sur le parcours (rue des Goéland). Le temps que nous arrivions, William, fatigué et sans nouvelles, avait fait des signes pour obtenir de l’aide aux maisons sur l’autre rive. Une riveraine l’avait aperçu et avait donc appelé les secours.
Lorsque Andy et moi sommes arrivés sur l’île, contents de retrouver William, plusieurs pompiers étaient déjà arrivés sur la rive et tentaient de communiquer, sans succès (grosse pluie). William n’était pas près de retourner à l’eau immédiatement, mais nous devions communiquer avec les pompiers pour leur dire que tout était sous contrôle…
J’ai donc nagé jusqu’à la rive pour retrouver les pompiers (j’ai laissé le kayak au cas où il voudrait traverser avant que je revienne) pour aller leur dire que tout était ok, mais les pompiers ne voyaient pas la situation de la même manière. Ils m’ont assis dans un camion, il était hors de question que je retourne à l’eau pour aller convaincre mes amis de traverser. Ils ont dit aux gars (au porte-voix) de ne pas bouger.
Après plusieurs dizaines de minutes où j’ai entendu plusieurs scénarios, dont celui d’appeler l’équipe de recherche et sauvetage de l’Armée, c’est finalement l’hélicoptère de la SQ (avec un treuil) qui a été appelé. L’hélicoptère est finalement arrivé, a treuillé les gars et les a débarqués dans un champ avoisinant. Ils ont été amenés à l’hôpital pour hypothermie légère.
Pendant ce temps, une voiture de police avait été envoyée à la mise à l’eau pour aller chercher mon père et le ramener sur les lieux. Imaginer la scène. Ça fait des heures qu’il attendait, sous la pluie (c’est nous qui avions les clés de la voiture, évidemment) pour lui dire qu’il y avait une évacuation par hélicoptère en cours pour mes amis et moi.
Beaucoup de médias étaient sur place et tentaient de nous interviewer. J’avais appelé ma mère pour lui dire : ‘’tu vas peut-être entendre des choses à la télévision, mais ne t’en fais pas, tout est correct’’.
Le lendemain, l’équipe de Denis Lévesque tentait de me joindre pour l’émission du midi. Je n’ai pas donné suite, mais il y a tout de même eu une émission portant sur la question : ‘’Est-ce que les gars devraient ou non payer pour l’évacuation?’’. Imaginez la facture, il y avait des dizaines de pompiers, des policiers, l’hélicoptère…
Sur le forum Kayak Québec, (ça remplaçait les groupes Facebook à l’époque), nous nous étions fait démolir et avec raison. C’est une très mauvaise publicité pour la communauté. Nous étions restés muets. En fait, sauf amis proches, c’est la première fois que je partage l’expérience publiquement 14 ans plus tard.
Le kayak de William était resté sur l’ile. Le lendemain, nous avions envoyé un ami pour aller le chercher, mais il avait disparu.
L’année d’après, je commençais ma formation comme guide de rafting. Andy n’a retouché un kayak que 10 ans plus tard. William a dû payer le kayak en location, mais il a tout de même refait de l’eau vive avec une saison de guide de raft. Mon père a refait de l’eau vive avec moi de temps en temps.
Dix ans plus tard et autant de saisons de rafting, je commençais Rivière Concept sur la rivière Mattawin en Mauricie. Un an après le début de Rivière Concept, nous commencions à opérer des descentes commerciales en kayak (packraft) sur la rivière Jacques-Cartier avant d’y déménager à temps plein en 2023. Maintenant , deux ans ont passé et c’est des centaines d’âmes aventurières comme mes amis et moi en 2011 à qui nous avons permis de découvrir la section Pont-Rouge-Donnacona, en toute sécurité.
Une rivière sportive, c’est comme une avalanche. Ça n’arrête pas comme tu veux. C’est pour ça qu’une petite situation peut vite devenir compliquée.
La rivière, c’est la plus belle chose au monde, mais ce n’est pas à prendre à la légère. Entourez-vous de gens compétents, prenez des formations et ne sautez pas d’étape. C’est un processus lent, mais vous ne le regretterez pas!
Cheers,
Alex
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